Table des matières La prophétie.
(15/02/21-3/03/21)
INTRODUCTION
Chronique des 11 braves

 

Perdu dans les montagnes, blotti au creux d’une haute vallée, il est un hameau sans nom qui s’entête à survivre, oublié de tous. Tous les ans, la modeste bourgade devient la proie résignée d’un hiver qui débute dès les premiers jours de l’automne. Des mois durant, elle dort isolée sous la neige, alors qu’au sommet des cols les vents hurlent leur colère. C’est le temps où les bergers descendus des alpages retrouvent leur communauté et le commerce de leurs frères humains. Chaque soir voit alors se dérouler des veillées sans fin autour de feux crépitant.
C’est là que je les ai vus. La neige avait fermé tous les cols et je pouvais m’estimer heureux d’avoir éveillé la sympathie des habitants jusqu’à me laisser partager leur misère. Je les ai vus, vous disais-je, et je crois les voir encore. Pendant des journées et des nuits entières, assis parmi les villageois, je les ai observés et écoutés. Vêtus de peaux de bêtes ou de costumes évocateurs, masqués ou grimés, ils psalmodiaient d’antiques et interminables chansons, comme le faisaient probablement leurs pères et les pères de leurs pères. Saisis de transes, ils mimaient, chantaient, dansaient, jouaient de leur ombre ou des reflets des flammes. Leurs murmures ou leurs cris redonnaient vie à des légendes oubliées et à des histoires incroyables. Plus d’une fois, en les observant, je me pris à sursauter de peur ou à éclater de rire, et, l’heure du repos venue, mes rêves se peuplaient de créatures terribles ou de héros dérisoires.
 Voici l’une de ces légendes, telle qu’il m’a été donné de l’entendre, de la voir et de la retranscrire, presque comme si j’avais pu la vivre. Elle s’est déroulée en un âge si ancien qu’aucun vestige tangible n’en subsiste aujourd’hui ; pas une ville, pas un cours d’eau, pas même une montagne mentionnés dans ce récit n’ont résisté à l’usure du temps et des éléments. De cette époque oubliée, nous sont tout juste restés quelques rares proverbes ou quelques expressions usuelles ; à peine l’un ou l’autre fantôme d’une époque sauvage et glorieuse.
Or donc, notre monde était jeune en ce temps-là. Les contours des terres étaient différents de ceux que nous connaissons aujourd’hui. Des chaînes montagneuses émergeaient encore, là où s’étendent maintenant des océans. Des fleuves bienveillants irriguaient de fertiles contrées devenues désertiques depuis longtemps. Les races antiques, Nains, Elfes, Hobbits ou Orcs, côtoyaient encore la nôtre. Les Dieux dans leurs firmaments régnaient aussi nombreux que les rois sur la terre, et les souvenirs des migrations de dragons hantaient encore la mémoire des peuples innombrables. La science n’avait pas encore triomphé de la magie. Les plus profondes blessures et les plus graves maladies se guérissaient par simple imposition des mains. Exilés de plans lointains, les démons égarés dans notre univers couraient les terres et les mers, libres de semer la désolation et la terreur.
  Cette histoire est celle d’une poignée d’aventuriers inconscients de jouer un rôle qui les dépasse, dans une pièce qu’ils écrivent sans s’en rendre compte ; comme s’ils tenaient entre leurs doigts une plume invisible glissée par le Destin. C’est aussi l’histoire de la fin d’un royaume, de la naissance d’un Dieu et de la guerre éternelle que se livrent le Bien et le Chaos. A l’époque où elle commence, les rois de Pengar, issus de la lignée de Daïn, se succèdent depuis près de quatre cents ans. Ils ont établi leur résidence dans le nord de leur royaume, retranchés derrière les murailles de Penbritin, leur splendide et orgueilleuse capitale. Ils n’en sortent que pour mener de périodiques campagnes militaires, tantôt contre les hordes d’Orcs qui déferlent du nord, tantôt contre leurs alliés indociles.
Dans les provinces du royaume, la turbulente noblesse pengarienne, jalouse de son indépendance et de ses privilèges, intrigue et conspire sans cesse contre ses suzerains, profitant de la faiblesse de l’un ou feignant une sournoise et patiente soumission à la puissance d’un autre.
C’est en l’année 1021 du calendrier de Pengar que débute ce récit. A Penbritin, le roi s’appelle Aranarth VI. C’est un jeune homme de vingt ans, un peu frêle. Couronné à la mort de son père, quatorze années plus tôt, il garde de cette époque le surnom d’enfant-roi. De fait, il ne gouverne réellement le royaume de Pengar que depuis deux ans, depuis la mort de son oncle, le régent Haralf de Plégis.
Dès le début de son règne, le petit roi Aranarth s’est trouvé confronté à la défection de certains des ses barons pressés de vérifier la solidité du joug de leur juvénile souverain. Dans un premier temps, au prix d’une fidélité et d’un courage dignes d’éloges, le régent Haralf est parvenu à maintenir l’unité du royaume. Pourtant, en 1014, alors que l’enfant-roi fête ses treize ans, Haralf ne peut empêcher Gellen, le puissant duc de Beltingel, de prendre la tête d’une large rébellion et de se faire couronner roi à son tour, déclenchant une terrible guerre civile. Sept années plus tard, elle dure toujours.
Pendant ce temps, sur la frontière nord-est du royaume, au-delà des montagnes d’Aquilie et de la Tranchée de Laënor, les hordes du Chaos fourbissent leurs armes. Orcs, gobelins et hommes-bêtes se préparent à anéantir les royaumes des Humains, pour la plus grande gloire d’Elfuin, l’Etoile des Ténèbres.

───>>>  Chapitre I ───>>>

Copyright Michel Vincent